Les vers de cire digèrent le polyéthylène plus vite que la nature ne le décompose. Une solution biotechnologique prometteuse contre la pollution.
Quand la nature défie la chimie moderne
Chaque année, plus de 400 millions de tonnes de plastique envahissent notre planète. La moitié de cette production finit directement dans les décharges ou les océans après un usage unique. Le polyéthylène, plastique le plus fabriqué au monde avec 100 millions de tonnes annuelles, persiste dans l’environnement pendant des centaines d’années.
Pourtant, de petites créatures blanchâtres d’1 à 2 cm accomplissent l’impossible : les chenilles mangent le plastique polyéthylène et le transforment complètement en 24 heures. Ces vers de cire de l’espèce Galleria Mellonella, parasites naturels des ruches, décomposent ce matériau ultra-résistant plus rapidement que n’importe quel processus naturel connu.
Cette découverte fortuite remonte à 2017, quand une scientifique apicultrice plaça ces nuisibles dans des sacs plastiques. Elle découvrit rapidement des trous constellant les contenants, révélant une capacité digestive exceptionnelle chez ces larves de fausses teignes de la cire.
Le secret du microbiote intestinal
L’équipe de Bryan Cassone et Christophe LeMoine, de l’université de Brandon au Manitoba, a percé le mystère de cette biodégradation. Leur étude publiée dans les Proceedings of the Royal Society B dévoile le mécanisme fascinant derrière cette prouesse biologique.
Les chercheurs ont nourri trois groupes de larves différemment : cire d’abeille, plastique et jeûne complet. L’analyse du microbiote révèle une prolifération spectaculaire des bactéries intestinales chez les vers nourris au polyéthylène. Ces micro-organismes spécialisés décomposent les chaînes moléculaires complexes, permettant aux larves de métaboliser complètement le plastique en graisse corporelle.
Ces bactéries isolées survivent plus d’un an avec un régime exclusivement plastique. Elles démontrent une adaptation évolutive remarquable face à ce matériau synthétique, inexistant dans leur environnement naturel originel.
Une synergie complexe encore mystérieuse

La digestion du plastique ne repose pas uniquement sur l’action bactérienne. Les micro-organismes dégradent moins efficacement le polyéthylène in vitro que dans l’organisme des chenilles. Cette observation suggère une interaction synergique entre l’hôte et son microbiote.
Même privées de leurs bactéries par traitement antibiotique, les larves conservent une capacité résiduelle d’assimilation plastique. Cette découverte confirme que le processus implique également des enzymes intestinales propres aux chenilles.
Christophe LeMoine explique cette prédisposition évolutive : ces chenilles se sont développées en se nourrissant de molécules très complexes comme la cire. Cette adaptation les a probablement prédisposées à dégrader des polymères plastiques, contrairement à d’autres insectes plastivores récemment découverts comme les larves de teigne des fruits secs ou du ténébrion meunier.
Des performances exceptionnelles mais limitées
Environ 2 000 vers de cire décomposent entièrement un sac en polyéthylène en seulement 24 heures selon les estimations des chercheurs. Cette rapidité surpasse largement tous les autres organismes capables de consommer du plastique.
Cependant, les tests en laboratoire révèlent les limites pratiques. Une soixantaine de larves nécessite près d’une semaine pour dévorer environ 30 cm² de sac plastique. Cette performance reste insuffisante pour une application industrielle directe face à l’ampleur du défi environnemental.
Les chenilles ne survivent que quelques jours avec une alimentation exclusivement composée de polyéthylène. L’ajout de stimulants comme des sucres pourrait réduire le nombre de vers nécessaires tout en préservant leur santé, mais cette supplémentation complexifie l’application pratique.
Vers de nouvelles biotechnologies
Les scientifiques privilégient désormais l’identification des composés cruciaux pour les reproduire à grande échelle. Cette approche permettrait d’isoler les enzymes et bactéries responsables pour créer des procédés industriels automatisés, sans dépendre des organismes vivants.
L’élevage massif de ces parasites de ruches poserait des problèmes écologiques majeurs pour les populations d’abeilles déjà fragilisées. La reproduction des mécanismes biologiques en laboratoire représente donc une piste plus viable pour développer de nouveaux systèmes de bioremédiation.
Christophe LeMoine tempère les espoirs immédiats : « À court terme, il est beaucoup plus simple de réduire notre dépendance au plastique et notre production de déchets associés, plutôt que d’espérer une solution magique à cette pollution. »
Cette recherche enrichit notre compréhension des mécanismes naturels tout en rappelant l’urgence de repenser nos modes de consommation. Alors que ces découvertes ouvrent la voie à des biotechnologies prometteuses, ne devrions-nous pas d’abord questionner notre relation destructrice aux plastiques à usage unique ?
Illustration en Une générée par Gemini.
Source : National Geographic
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