Bernie Sanders

Le sénateur américain Bernie Sanders vient de publier un rapport qui relance un débat fiscal lancé en France dès 2017. Face à 100 millions d’emplois menacés par l’IA, il propose d’instaurer une taxe sur les robots. Une mesure que Benoît Hamon avait déjà défendue en 2017.

Les prémices françaises d’un combat fiscal

En 2017, la France avait déjà débattu sur le sujet d’une taxe sur les robots et les IA par le biais de la candidature de Benoit Hamon aux élections présidentielles. © Pleclown / Wikimedia Commons

A travers le magazine Planète Robots, j’avais moi-même évoqué cette nécessité dans un éditorial de novembre 2014. La question de repenser la fiscalité face à la robotisation y était posée. Dix ans plus tard, les chiffres donnent raison à ces analyses prémonitoires.

Benoît Hamon avait placé la taxe robots au cœur de sa campagne présidentielle de 2017. Le candidat socialiste proposait un prélèvement sur les entreprises qui remplacent des humains par des machines. L’objectif était de financer un revenu universel pour compenser les pertes d’emplois.

Des économistes comme Thomas Piketty avaient soutenu l’idée d’une taxation progressive de l’automatisation. D’autres, comme Jean Tirole, s’y étaient opposés. Le monde politique français n’avait finalement pas donné suite. La question était alors considérée comme prématurée.

Des prédictions qui se matérialisent

Le rapport du comité sénatorial américain présente désormais des chiffres vertigineux. L’équipe de Bernie Sanders a analysé 774 professions américaines. Le résultat donne le tournis : 97 millions d’emplois pourraient disparaître d’ici dix ans.

Les secteurs de la restauration rapide, du service client et de la logistique figurent en tête de liste. Les fast-foods pourraient perdre 89% de leurs postes, la comptabilité 64% et le transport routier 47%. Même les développeurs informatiques sont concernés à hauteur de 54%.

Dario Amodei, le patron d’Anthropic, prévoit que l’IA pourrait anéantir la moitié des postes de cols blancs de bas niveau. Le chômage pourrait atteindre 10 à 20% dans les cinq prochaines années. Même Elon Musk déclare que « probablement aucun d’entre nous n’aura de travail ».

L’offensive des géants technologiques

Les entreprises ne cachent plus leurs intentions. Amazon, qui a engrangé 59,2 milliards de dollars de profits en 2024, a licencié 27 000 personnes depuis 2022. L’entreprise affirme clairement que l’IA générative réduira ses effectifs. Son ancien PDG de Web Services a empoché 34,3 millions de dollars.

Walmart a supprimé 70 000 emplois en cinq ans tout en augmentant ses revenus de 150 milliards. UnitedHealth offre des départs volontaires pour réduire ses effectifs de 30 000 personnes. L’assureur se vante auprès des investisseurs que « l’IA dirigera plus de la moitié de nos appels » en 2025.

Les entreprises de camions autonomes affichent cyniquement leurs objectifs. Kodiak évoque « le problème » de l’augmentation des salaires des chauffeurs. Aurora vante les avantages du transport sans conducteur : « pas d’indemnisation, pas de formation continue ». Le marché mondial de l’IA devrait passer de 189 milliards en 2023 à 4 800 milliards en 2033.

Un arsenal de mesures de protection

Les robots et les IA vont prendre de plus en plus de place. Notre société va se transformer profondément. Faisons en sorte que tout le monde y gagne. Image générée par Nano-Banana.

Bernie Sanders ne se contente pas de proposer une simple taxe sur les robots. Son rapport détaille un programme ambitieux de protection des travailleurs. Il préconise notamment la semaine de 32 heures sans perte de salaire.

Les grandes entreprises devraient distribuer 20% de leurs actions aux employés. Les travailleurs éliraient 45% des conseils d’administration selon le modèle allemand de cogestion. Sanders propose également de supprimer les avantages fiscaux qui encouragent l’automatisation.

Ces niches représentent 360 milliards de dollars sur dix ans dans le dernier budget voté. Le sénateur veut créer un fonds de 10 milliards pour aider les salariés à racheter leur entreprise. Il prône aussi le doublement du taux de syndicalisation et la garantie de congés payés.

Le contexte politique américain aggrave la situation

L’administration Trump a nommé des dirigeants de l’IA à des postes clés. David Sacks, ancien de PayPal, occupe le poste de « Tsar de l’IA ». L’exécutif cherche à bloquer les régulations des États fédérés. Le président a menacé de couper les financements fédéraux aux États qui réglementeraient l’intelligence artificielle.

Trump a paralysé l’agence fédérale de protection des droits syndicaux en limogeant illégalement ses dirigeants. Des dizaines de milliers de fonctionnaires ont été licenciés dans au moins 30 agences. Le taux de syndicalisation est tombé à 9% en 2024 contre 34% en 1945.

Certains syndicats ont néanmoins obtenu des protections concrètes. Les dockers ont négocié des clauses anti-automatisation. Les acteurs de la SAG-AFTRA ont sécurisé leurs droits face à l’IA générative. Les testeurs de jeux vidéo chez Microsoft ont signé un accord historique encadrant l’usage de l’intelligence artificielle.

Une fracture économique qui se creuse

Le rapport Sanders rappelle une réalité cinglante. Depuis 1973, la productivité a bondi de 150% et les profits de 370%. Les salaires réels ont baissé de 30 dollars par semaine. Les PDG gagnent aujourd’hui 330 fois le salaire moyen de leurs employés contre 27 fois dans les années 1970.

Les huit Américains les plus riches cumulent plus de 2 000 milliards de dollars de fortune. Elon Musk à lui seul possède davantage que 52% de la population américaine. Larry Ellison a vu sa fortune augmenter de 100 milliards en une seule journée après l’annonce d’un contrat entre Oracle et OpenAI.

Sur les 25 dernières années, les coûts de santé, de logement, de garde d’enfants et d’éducation ont augmenté bien plus vite que l’inflation générale. Respectivement de 41%, 55%, 69% et 115%. L’automatisation massive menace d’aggraver cette crise du pouvoir d’achat.

Face à cette transformation technologique accélérée, la taxe sur les robots apparaît désormais comme une nécessité démocratique plutôt qu’une contrainte idéologique. Reste à savoir si les gouvernements auront le courage politique de défier les géants de la Silicon Valley : serons-nous capables d’imposer une redistribution équitable des gains de l’automatisation avant que des millions d’emplois ne disparaissent définitivement ?

Illustration en Une : © Michelle et Shelly Prevost / Wikimedia Commons

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